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Next report Le Guetteur de Saint-Quentin et de l'Aisne - Wednesday, June 5, 1895

UNE PEINE BARBARE
Le « hard Labour » anglais

Deux Anglais d’un certain renom, Oscar Wilde et Alfred Taylor, ont été condamnés récemment à deux ans de prison avec travaux forcés, pour des faits exceptionnels d’immoralité. Cette peine est désignée dans le pays sous le nom de « hard labour ». Elle n’a pas d’équivalent dans la loi française. Ce n’est pas la peine des travaux forcés qui est dite en Angleterre « servitude pénale » et qui entraîne, selon sa durée, une réclusion avec travaux sur le territoire de la Grande-Bretagne, ou la déportation dans un bagne colonial. Le condamné à la servitude pénale est dit convict. Tel est le cas présentement pour les complice déjà jugés de le député Jabez Spencer Balfour : Hobbs et Whrigt sont condamnés à douze ans de servitude pénale ; ils sont des forçats et n’ont pas à faire un seul jour de travail dur. Cette dernière peine est un suppice, et un supplice tel que la loi interdit au juge de la prononcer pour plus de deux ans, parce qu’il est peu d'exemples de condamnés y ayant survécu passé ce délai.

Une disposition de la loi anglaise permet de mesurer ce supplice à des fautes qui dénotent chez leur auteur plus de perversité qu’elles ne causent de dommage à la société. On peut condamner un homme à un mois de « hard labour », et même à moins, comme on peut le condamner encore à recevoir le fouet dans une prison. La peine du fouet a été appliquée, il y a moins d’un mois, dans la prison de Milbank, à deux jeunes gens reconnus coupables d'incendie volontaire, et qui ont, par surcroit, chacun deux années de servitude pénale à accomplir.

Pour donner une idée du « hard labour », nous dirons quelle sera désormais la journée d’Oscar Wilde, comme celle de Taylor. Ayant été condamnés « sentencés » un samedi après-midi, ils n’auront été soumis à aucun travail le lendemain dimanche. Pourtant, dès après l'arrêt, à leur arrivée dans la geôle de Newgate, il leur a fallu dépouiller leurs vêtements pour endosser la livrée des convicts : un pantalon et une veste de coton ou de laine — selon la saison — marquée de trèfles depuis les pieds jusqu’à la tête. Ils auront été soumis au régime réglementaire pour le coucher et la nourriture.

A neuf heures du soir Wilde et Taylor sont montés dans la voiture cellulaire, hors la présence l’un de l’autre, et ont été conduits à la maison de force de Pentonville, située dans le nord de Londres, au-delà de King’s Cross, où ils sont arrivés à 9 heures et demie, out été écroués séparément et conduits chacun dans une cellule garnie d’un lit de camp en bois, sans matelas, avec une seule couverture.

Avant de quitter Newgate, Wilde s'est vu refuser la faveur d'adresser ses adieux et ses remerciements à lord Percy Sliolto Douglas et au révérend Stewart Headlam, ses garants, qui avaient assisté jusqu'au bout à son procès.

Lundi, à cinq heures du matin, les condamnés ont été conduits nus et séparément dans une salle de bains où, après les soins de propreté, ils furent pesés. Car il faut qu’ils maigrissent pendant la durée de leur peine, il faut que le châtiment comporte une déperdition de force et de vitalité. Ensuite, vêtus, ils furent dirigés vers le tread mill, le moulin de discipline. Ils deviendront les agents d’une force motrice distribuée dans les ateliers de la prison.

Imaginez une roue gigantesque dont les rayons atteignent quatre mètres et dont la circonférence est divisée en palettes, à peu près comme la circonférence d’une roue de bateau à vapeur, d'une aube, il y a cette différence entre l’aube et le tread mill, que l’aube agit sur l’eau en vertu d’une propulsion intêrieure. tandis que le tread mill reçoit sa propulsion du dehors et la doit uniquement aux hommes frappés de « hard labour ». Dans la partie supérieure de la circonférence, les palettes aboutissent à des cellules étroites où elles figurent, en passant, les marches fuyantes d’un escalier.

Amené dans une de ces cellules, le condamné est tenu de se suspendre de ses deux mains à deux anneaux ballottant audessus de sa tète, et de peser de tout son poid avec ses pieds sur les palettes qui dêfile, afin d’actionner le mouvement de cette grande roue qu’il n’aperçoit même pas. S’il hesite, un gardien placé derrière lui peut lui appliquer un coup de fouet ; s’il s’arrête la roue, dans son mouvement continu l’atteint rudement aux pieds ; s'il trébuche, il s’expose à payer sa défaillance d'une jambe cassée. S’il refuse, c’est la peine disciplinaire du fouet, du chat à neuf queues. Cette arme de mince cuir tressé emporte la peau au premier coup et fouille la plaie vive au deuxième.

La mise en action du tread mill comporte une fatigue tellement accablante, que les condamnés n’y sont assujettis que pendant trois heures par jour : une heure et demie le matin, une heure et demie l'après-midi. Encore le travail est-il divisé, pour chaque période, en dix minutes de piétinement rt cinq minutes de repos. Le condamné peine une heure et se repose une demi-heure. En dehors du tread mill il est soumis aux occupations les plus pénibles.

On voit souvent à Londres des pavée marqués d'un trèfle ; ils ont été taillés en prison par les convicts et les hard labourers. A ces derniers revient notamment la dure corvée de détailler, pour les changer en étoupe, les vieux cordages de la marine, goudronnés ou non. Il faut avoir visité une prison anglaise pour comprendre à quel point cette besogne ressemble à un martyre. Au bout d'une journée, les doigts de l'ouvrier-condamné en souffrent; la peau s'échauffe, s'attendrit, tombe et le sang coule. On cicatrise, on cautérise; on ramène l'homme au plus tôt à la même corvée. La pression continue du doigt sur le fil poisseux, pression où se concentre sans cesse la force dynamique des muscles, exerce bientôt un contrecoup sur les articulations des phalanges, du métacarpe, du poignet et de l'avant-bras. Les membres antérieurs sont brisés par ce travail ; les membres inférieurs par le tread mill. Le poids du condamné est contrôlé de façon à en assurer la diminution. On augmente la durée du tread mill pour les hommes qui y résistent trop aisément.

Ce supplice est l'objet d'une surveillance cruellement attentive qui s'exerce jusqu'au dernier jour ; car il est extrêmement rare qu'un individu condamné au « hard labour » soit l'objet d'une remise partielle importante. On cite des individus qui ont bénéficié d'une remise d'un mois pour un an, de six semaines pour quinze ou dix-huit mois. Enfin, à aucun moment, le condamné n'est appelé-à jouir des menues faveurs accordées à presque tous les détenus qui disposent de quelque argent. Il n'a pas de masses, ne reçoit aucune somme du dehors, et il est astreint, sauf le cas de maladie, à la seule nourriture de la prison. Elle comporte une livre de viande par semaine; le-reste en pair, en graisse et en légumes. Voilà pour le supplice physique.

Le supplice moral consiste en une sorte de mort temporaire qui atteint à la fois le condamné et les siens. Pendant les trois premiers mois de la peine, il n'écrit à personne et n'a de nouvelles de personne. Pendant les six premiers mois, il ne reçoit aucune visite. Plus tard, il est visité à jours fixes, conformément au règlement sur les convicts.

Aggravation : Aucun travail en commun. Cellule pour le tread mill, cellule pour l'étoupe, cellule avec lit de planches pour la nuit.

Ce supplice est hors de proportion avec les délits qu'il châtie. Il est indigne d'une nation civilisée.

Telle est cette peine du « hard labour » — l'effroi, la terreur de tous les malfaiteurs anglais. Elle accuse une telle disproportion entre la cruauté du châtiment et les délits qu'elle châtie qu'on ne saurait hésiter à souhaiter son abolition.

A BARBARIAN PUNISHMENT
English hard labor

Two Englishmen of a certain renown, Oscar Wilde and Alfred Taylor, were recently sentenced to two years' imprisonment with hard labor for exceptional acts of immorality. This punishment is referred to in the country as “hard labour”. It has no equivalent in French law. It is not the penalty of forced labor which is said in England to be “penal servitude” and which entails, depending on its duration, imprisonment with work on the territory of Great Britain, or deportation to a colonial penal colony. A person sentenced to penal servitude is said to be a convict. Such is the case at present for the already tried accomplices of the deputy Jabez Spencer Balfour: Hobbs and Whrigt are condemned to twelve years of penal servitude; they are convicts and do not have to do a single day's hard work. This last sentence is a torture, and a torture such as the law forbids the judge to pronounce it for more than two years, because there are few examples of condemned persons having survived it after this period.

A provision of English law makes it possible to measure this torture against faults which denote in their author more perversity than they cause harm to society. You can condemn a man to a month of "hard labour," and even less, just as you can condemn him to receive a whipping in a prison. The penalty of whipping was applied, less than a month ago, in Milbank prison, to two young people convicted of arson, and who, in addition, each have two years of penal servitude to accomplish.

To give an idea of “hard labour”, we will say what Oscar Wilde's day will henceforth be, like Taylor's. Having been condemned "sentenced" on a Saturday afternoon, they will not have been subjected to any work the following day, Sunday. However, immediately after the arrest, on their arrival in Newgate jail, they had to strip off their clothes to put on the livery of the convicts: trousers and a cotton or wool jacket - depending on the season - marked with clover since feet to head. They will have been subject to the regulatory regime for bedtime and food.

At nine o'clock in the evening Wilde and Taylor got into the police car, without each other being present, and were driven to the Pentonville prison, located in north London, beyond King's Cross, where they arrived at 9:30 a.m., were locked up separately and each taken to a cell furnished with a wooden cot, without a mattress, with a single blanket.

Before leaving Newgate, Wilde was refused the favor of bidding farewell and thanks to Lord Percy Sliolto Douglas and the Reverend Stewart Headlam, his sureties, who had attended his trial to the end.

Monday, at five o'clock in the morning, the condemned were led naked and separately in a bathroom where, after the care of cleanliness, they were weighed. Because they must lose weight during the duration of their sentence, the punishment must include a loss of strength and vitality. Then, dressed, they were directed to the tread mill, the mill of discipline. They will become the agents of a driving force distributed in the workshops of the prison.

Imagine a gigantic wheel whose spokes reach four meters and whose circumference is divided into paddles, much like the circumference of a steamer's wheel, of a dawn, there is this difference between dawn and tread mill, that dawn acts on water by virtue of an interior propulsion. while the tread mill receives its propulsion from outside and owes it solely to men struck down by "hard labour." In the upper part of the circumference, the pallets lead to narrow cells where they represent, in passing, the receding steps of a staircase.

Brought into one of these cells, the condemned man is required to suspend himself with his two hands from two rings swinging above his head, and to press with all his weight with his feet on the pallets which pass by, in order to activate the movement of this big wheel that he doesn't even see. If he hesitates, a guardian placed behind him can give him a whiplash; if he stops the wheel, in its continuous motion reaches him roughly at the feet; if he stumbles, he runs the risk of paying for his failure with a broken leg. If he refuses, it is the disciplinary penalty of the whip, of the nine-tailed cat. This weapon of thin braided leather takes away the skin on the first blow and digs into the raw wound on the second.

The working of the treadmill involves such overwhelming fatigue that the condemned are subjected to it only for three hours a day: one hour and a half in the morning, one hour and a half in the afternoon. Again the work is divided, for each period, into ten minutes of trampling and five minutes of rest. The condemned man spends an hour and rests for half an hour. Apart from the treadmill he is subjected to the most arduous occupations.

One often sees in London cobblestones marked with a trefoil; they were pruned in prison by convicts and hard labourers. To the latter falls in particular the hard chore of detailing, to change them into tow, the old ropes of the navy, tarred or not. You have to have visited an English prison to understand how much this task resembles martyrdom. At the end of a day, the fingers of the convict-worker suffer from it; the skin heats up, softens, falls and blood flows. We heal, we cauterize; the man is brought back to the same drudgery as soon as possible. The continuous pressure of the finger on the sticky thread, pressure where the dynamic force of the muscles is constantly concentrated, soon exerts a backlash on the joints of the phalanges, the metacarpus, the wrist and the forearm. The forelimbs are broken by this work; the lower limbs by the tread mill. The condemned person's weight is controlled in such a way as to ensure its reduction. The duration of the tread mill is increased for men who resist it too easily.

This torture is the object of a cruelly attentive surveillance which is exercised until the last day; because it is extremely rare that an individual sentenced to "hard labour" is the subject of a significant partial surrender. Individuals are quoted who have benefited from a discount of one month for a year, of six weeks for fifteen or eighteen months. Finally, at no time is the condemned man called upon to enjoy the petty favors granted to almost all prisoners who have some money. He has no masses, receives no money from outside, and he is restricted, except in the case of illness, to the only food of the prison. It includes a pound of meat per week; the rest in par, fat and vegetables. So much for the physical torture.

The moral torture consists of a sort of temporary death which affects both the condemned man and his family. During the first three months of the sentence, he does not write to anyone and does not hear from anyone. During the first six months, he receives no visitors. Later, he is visited on fixed days, in accordance with the regulations on convicts.

Aggravation: No joint work. Cell for the tread mill, cell for the tow, cell with bed of boards for the night.

This punishment is out of proportion to the offenses it punishes. It is unworthy of a civilized nation.

Such is the penalty of "hard labour"—the dread, the terror of all English malefactors. It shows such a disproportion between the cruelty of the punishment and the offenses it punishes that one cannot hesitate to wish for its abolition.