TRIBUNAUX ÉTRANGERS
DEUXIÈME PROCÈS D'OSCAR WILDE LE VERDICT (de notre correspondant particulier)

Londres, 25 mai.

Considéré au seul point de vue de la lutte oratoire, ce procès est assurément l'un des plus émouvants auxquels on ait assisté jusqu'ici. Hier, sir Edward Clarke avait enlevé les bravos de ses collègues et de la foule. Aujourd'hui, sir Frank Lockwood a montré dans son réquisitoire un talent digne de sa haute réputation et des éminents adversaires auxquels il avait à se mesurer. Après lui, le juge Wills a prononcé un summing-up (résumé) d'une rare valeur, d'une belle indépendance et d'une remarquable ordonnance.

Le réquisitoire de sir Cockwood a provoqué de la part de la défense des interruptions et des protestations nombreuses. C'est que le solicitor général, sans vouloir tenir compte des termes où les débats enferment l'accusation, a repris cette hideuse affaire à son origine, à la plainte portée par Oscar Wilde contre le marquis de Quensberry.

Puis il a passé à l'examen des témoins et de leurs dépositions, traçant un tableau sans pitié des relations avouées par Wilde, des familiarités de l'écrivain avec ces gens « sortis de l'office ou de l'étable » qu'il invitait à dîner sans les connaître et auxquels il permettait l'usage de son prénom. A plusieurs reprises sir Edward Clarke a voulu interrompre, ce qui a déterminé dans l'auditoire des manifestations sévèrement réprimées par le juge. Il en a été de même à propos des lettres adressées par Wilde à lord Alfred Douglas et à d'autres. En terminant, sir Frank s'exprime ainsi: « Messieurs, mon éminent contradicteur vous a parlé hier du passé littéraire et de l'avenir littéraire de l'accusé. Sa qualité d'homme de lettres n'a rien à voir ici. Il a droit à un acquittement, si haute ou si humble que soit sa situation, si vous jugez qu'il est innocent. Mais si, dans vos consciences, vous croyez qu'il est coupable, vous devez déclarer conformément aux obligations que vous impose votre serment. »

A midi et demi, le juge Wills a commencé son résumé, dans l'historique duquel il a compris le précédent procès et l'affaire du marquis de Queensberry. Il s'est montré assez sévère pour la trop grande facilité de Wilde à accueillir les premiers venus et pour la forme étrange de ses lettres au jeune lord Alfred Douglas. Son allocution, qui a duré une heure, a porté consciencieusement et impartialement sur tous les faits de la cause. A propos de lord Alfred Douglas, il a qualifié avec dureté les faits et gestes du second fils de lord Queensberry, surtout en ce qui concerne ses relations avec le témoin Wood, ce qui a provoqué une question du chef du jury: « Pourrais-je savoir, a demandé le foreman, si, à l'occasion des rapports entre le témoin Wood et le fils de lord Queensberry, un mandat d'amener a été lancé contre lord Alfred Douglas? Je crois que non, répond le juge. Je n'en ai pas entendu parler. C'est qu'il nous semble qu'en statuant sur les lettres échangées entre l'accusé et lord Alfred Douglas notre verdict s'appliquera également à l'un et à l'autre. Evidemment, mais je ne puis vous poser de questions que pour l'homme que nous jugeons aujourd'hui. »

Peu après, le juge Wills termine son summing-up et renvoie les jurés dans leur salle de délibération. 11 est alors trois heures et demie.

Wilde est reconduit dans sa cellule, et l'on voit paraître dans le « dock », à sa place, le condamné; de mardi soir Taylor. Le bruit court que le juge rendra son arrêt d'après le verdict aussitôt après la décision du jury sur Wilde. En effet, M. Grain, l'avocat de Taylor, est à la barre, en perruque, comme il convient pour prendre part aux débats. A mesure que la délibération se prolonge, l'opinion s'accrédite d'un nouveau désaccord dans le jury ce qui entraînerait un troisième procès! Enfin, à cinq heures trente-cinq, après deux heures de délibération, le jury rentre en séance et le juge, au milieu d'un silence d'angoisse, adresse à son chef la question « Gentlemen, êtes-vous d'accord? Oui, Votre Honneur. -- Jugez-vous le prisonnier coupable ou non coupable? -- Coupable. »

Wilde, qui écoutait debout, les mains appuyées à la barre du « dock », n'a pas eu un mouvement. Mais en entendant autour de lui une rumeur dans l'auditoire, il relève la tête, regarde et promène sur la foule un regard d'une tranquillité intraduisible. Une inquiétante pâleur a envahi son visage, une pâleur terreuse où il y a comme un flot de bile soulevée jusqu'à la face. C'est d'une impression saisissante.

Les questions posées au jury concernaient principalement les actes obscènes commis avec Wood, ceux commis avec Charles Parker, ceux commis avec deux personnes inconnues au Savoy hôtel. Sur ces quatre points, le verdict est affirmatif.

Le juge Wills s'adresse alors aux deux condamnés. Il est très bref c'est, dit-il, que des individus capables d'avoir commis des crimes dont Wilde et Taylor vont payer la peine sont si dénués de tout sens d'honneur et de moralité qu'on perdrait son temps à les exhorter. Puis, malgré un effort de la défense pour faire ajourner l'arrêt à une prochaine session, il prononce sa sentence Oscar Wilde, deux ans de prison avec travaux forcés; Taylor, deux ans de la même peine. C'est le maximum qu'autorise la loi.

De l'auditoire part un cri, un seul « Honte! » qui l'a poussé? On ne songe même pas à se le demander. Tous les yeux sont fixés sur Wilde il blêmit encore et l'on voit son visage livide se décomposer; on a l'impression que la nuit se fait dans son cerveau ses lèvres s'agitent, mais sans parvenir à articuler aucun son. Au moment où deux gardiens le saisissent il allait tomber par terre; on l'emmène, Taylor le suit, en apparence indifférent.

FOREIGN COURTS
SECOND TRIAL OF OSCAR WILDE THE VERDICT (from our private correspondent)

London, May 25.

Considered solely from the point of view of the oratorical struggle, this trial is undoubtedly one of the most moving we have witnessed so far. Yesterday, Sir Edward Clarke had won the applause of his colleagues and the crowd. Today, Sir Frank Lockwood has shown in his indictment a talent worthy of his high reputation and of the eminent adversaries against whom he had to measure himself. After him, Judge Wills gave a summing-up (summary) of rare value, beautiful independence and remarkable order.

Sir Cockwood's indictment provoked many interruptions and protests from the defense. It is that the Solicitor General, without wishing to take into account the terms in which the proceedings confine the accusation, took up this hideous affair at its origin, with the complaint brought by Oscar Wilde against the Marquis de Quensberry.

Then he went on to examine the witnesses and their depositions, tracing a pitiless picture of the relationships admitted by Wilde, of the writer's familiarity with these people "out of the pantry or the stable" whom he invited to dinner without knowing them and to whom he allowed the use of his first name. Several times Sir Edward Clarke wanted to interrupt, which led to demonstrations in the audience, which were severely suppressed by the judge. It was the same with the letters addressed by Wilde to Lord Alfred Douglas and others. In conclusion, Sir Frank expresses himself thus: “Gentlemen, my eminent opponent spoke to you yesterday of the literary past and of the literary future of the accused. His quality as a man of letters has nothing to do here. He is entitled to an acquittal, however high or humble his situation, if you find him innocent. But if, in your conscience, you believe that he is guilty, you must declare in accordance with the obligations imposed on you by your oath. »

At half past twelve, Judge Wills began his summary, in the background of which he included the previous trial and case of the Marquess of Queensberry. He showed himself to be quite severe for Wilde's excessive ease in welcoming first-comers and for the strange form of his letters to the young Lord Alfred Douglas. His speech, which lasted an hour, focused conscientiously and impartially on all the facts of the case. Regarding Lord Alfred Douglas, he harshly characterized the doings of Lord Queensberry's second son, especially with regard to his relationship with the witness Wood, which provoked a question from the foreman of the jury: "Could I to know, asked the foreman, whether, on the occasion of the intercourse between the witness Wood and the son of Lord Queensberry, a warrant was issued against Lord Alfred Douglas? I think not, answers the judge. I haven't heard of it. It seems to us that in ruling on the letters exchanged between the accused and Lord Alfred Douglas our verdict will apply equally to both. Of course, but I can only ask you questions about the man we are trying today. »

Shortly after, Judge Wills completes his summing-up and sends the jurors back to their deliberation room. It is then half-past three.

Wilde is escorted back to his cell, and the condemned man appears in the "dock" in his place; from Tuesday night Taylor. Rumor has it that the judge will deliver his judgment on the verdict soon after the jury's decision on Wilde. Indeed, Mr. Grain, Taylor's lawyer, is at the bar, in a wig, as is appropriate to take part in the proceedings. As the deliberation is prolonged, the opinion is accredited with a new disagreement in the jury which would involve a third lawsuit! Finally, at five thirty-five, after two hours of deliberation, the jury returned to its session and the judge, in the midst of an anguished silence, addressed the question to his boss, "Gentlemen, do you agree?" Yes, Your Honor. -- Do you find the prisoner guilty or not guilty? -- Guilty. »

Wilde, who was listening standing, his hands resting on the bar of the "dock", did not move. But on hearing a murmur around him in the audience, he raises his head, looks, and casts over the crowd a gaze of untranslatable tranquillity. A disquieting pallor has invaded her face, an earthy pallor in which there is a stream of bile rising up to her face. It is a striking impression.

The questions put to the jury mainly concerned the lewd acts committed with Wood, those committed with Charles Parker, those committed with two unknown persons at the Savoy hotel. On these four points, the verdict is affirmative.

Judge Wills then addresses the two convicts. It is very brief it is, he says, that individuals capable of having committed crimes for which Wilde and Taylor are going to pay the penalty are so devoid of any sense of honor and morality that one would waste one's time urge. Then, despite an effort by the defense to have the judgment adjourned to a future session, he pronounced his sentence Oscar Wilde, two years in prison with hard labour; Taylor, two years of the same sentence. This is the maximum allowed by law.

From the audience comes a cry, a single “Shame! who pushed him? We don't even dream of asking. All eyes are fixed on Wilde, he turns pale again and we see his livid face crumble; one has the impression that the night is happening in his brain his lips are moving, but without succeeding in articulating any sound. When two guards seize him he was about to fall to the ground; they take him away, Taylor follows him, apparently indifferent.

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