TRIBUNAUX ÉTRANGERS
LE PROCÈS D'OSCAR WILDE
(De notre correspondant particulier)

Londres, 1er mai.

Voici que s'ouvre la dernière audience du procès. C'est au juge à se faire entendre. Le lecteur suit que le juge anglais ne doit pas interroger un accusé. Il lui demande seulement, au début d'une instance, s'il plaide «coupable» ou «non coupable»; il l'avertit de prendre bien soin de ne rien dire qui puisse le compromettre aux yeux du jury, et il l'abandonne aux représentants de l'accusation et de la défense, se réservant seulement de veiller à ce que tout se passe conformément aux lois. Les débats clos, il donne son avis d'après ses notes. Son allocution remplace l'ancien résumé du président d'assises supprimé en France depuis quelques années.

Le résumé de M. le juge Charles a été une merveille d'impartialité, de clarté et de bon sens. Nous en citerons les passages principaux:

-- J'ai été satisfait, dit-il, de voir l'accusation abandonner les charges relatives à la « conspiration », à l'excitation à la débauche. La loi le voulait, et les dépositions des témoins commandaient cette mesure. MM. les jurés se rappelleront qu'il y a deux sortes de témoins dans cette affaire. D'abord, ceux qui ont été complices des actes reprochés aux accusés et qui sont, en outre, des maîtres-chanteurs avérés. Depuis plus de 200 ans, aucun témoignage de cette nature n'a été admis par un tribunal anglais, et lord Bramwell a même refusé par deux fois de déférer à la cour criminelle des individus poursuivis en vertu de dépositions de cette nature. Pouvez-vous croire ce que vous ont dit ces hommes? Non. Ils ne méritent pas votre confiance.

J'ai été satisfait de voir l'accusation abandonner les charges relatives à la « conspiration », a l'excitation à la débauche. La loi le voulait, et les dépositions des témoins commandaient cette mesure. MM. les jurés se rappelleront qu'il y a deux sortes de témoins dans cette affaire. D'abord, ceux qui ont été complices des actes reprochés aux accusés et qui sont, en outre, des maîtres-chanteurs avérés. Depuis plus de 200 ans, aucun témoignage de cette nature n'a été admis par un tribunal anglais, et lord Bramwell a même refusé par deux lois de déférer à Ia cour criminelle des individus poursuivis en vertu de dépositions de cette nature. Pouvez-vous croire ce que vous ont dit ces hommes? Non. Ils ne méritent pas votre confiance.
J'ai été satisfait de voir l'accusation abandonner les charges relatives à la « conspiration », à l'excitation à la débauche. La loi le voulait, et les dépositions des témoins commandaient cette mesure. MM. les jurés se rappelleront qu'il y a deux sortes de témoins dans cette affaire. D'abord, ceux qui ont été complices des actes reprochés aux accusés et qui sont, en outre, des maîtres-chanteurs avérés. Depuis plus de 200 ans, aucun témoignage de cette nature n'a été admis par un tribunal anglais, et lord Bramwell a été refusé par deux fois de déférer à la cour criminelle des individus poursuivis en vertu de dépositions de cette nature. Pouvez-vous croire ce que vous ont dit ces hommes? Non. Ils ne méritent pas votre confiance.

D'autre part, accorderez-vous considération à ce qui a été dit par l'accusation des écrits de Wilde. A mon avis, vous auriez grand tort: vous ne le devez pas. Je n'ai pas lu Dorian Grey et je ne vous souhaite pas de l'avoir lu; en tout cas, vous n'avez pas le droit de vous rappeler quelle impression vous a produite ce livre. On vous citait hier le mot de Coleridge: «Ne jugez aucun homme sur ses livres.» Je dirais encore: Ne confondez aucun écrivain avec les caractères, les types, les personnages créés par son talent. Où en serions-nous donc si le contraire était jamais admis par la conscience publique, même par la critique, et quelle opinion serions-nous amenés à nous faire de Walter Scott et de Charles Dickens, et de beaucoup de grands écrivains du dix-huitième siècle dont les œuvres peuvent attrister certains lecteurs faciles à scandaliser? Dorian Grey n'a rien à voir ici, ni les autres ouvrages dont on a parlé sans raison. Vous n'êtes pas une académie, vous êtes un jury criminel. Vous n'êtes pas chargé de la police des esprits. Vous n'avez pas à prononcer sur des écrits, mais seulement sur des faits. Vouloir rendre Wilde responsable ici de ses écrits, ce n'est pas seulement injuste, c'est absurde!

On applaudit et -- originalité exceptionnelle -- on applaudit même aux bancs occupés par les membres du barreau, même au banc de la presse. Le juge Charles impose silence d'une voix dure, et il continue:

On vous a lu aussi des poèmes de lord Alfred Douglas. Peut-être sont-ils scandaleux. Peut-être sont-ils irréprochables. Dans tous les cas, ce n'est pas votre affaire, et vous n'en devez tenir aucun compte. Nous avons perdu beaucoup de temps ici, depuis vendredi, à parler littérature, sous prétexte que Wilde est un littérateur. Or, il n'est pas accusé d'avoir écrit, ni bien ni mal. Et vous ne devez pas plus vous soucier de cette partie des débats que si Wilde était un maçon et si l'on vous eût parlé de sa maçonnerie, à propos des faits sur lesquels vous devrez rendre un verdict. Seulement n'oubliez pas qu'il y a des lettres de Wilde à lord Alfred Douglas, et que vous n'auriez sans doute jamais connu ces lettres s'il ne les avait produites lui-même. Il l'a dit et, là, il a dit la vérité.

En vous a lu aussi des poèmes de lord Alfred Douglas. Peut-être sont-ils scandaleux. Peut-être sont-ils irréprochables. Dans tous les cas, ce n'est pas votre affaire, et vous n'en deviez tenir aucun compte. Nous avons perdu beaucoup de temps ici, depuis vendredi, à parler littérature, sous prétexte que Wilde est un littérateur. Or il n'est pas accusé d'avoir écrit, ni bien ni mal. Et vous ne devez pas plus vous soucier de cette partie des débats que si Wilde était un maçon et si l'on vous eût parlé de sa maçonnerie, à propos des faits sur lesquels vous devrez rendre un verdict. Seulement, n'oubliez pas qu'il y a des lettres de Wilde à lord Alfred Douglas, et que vous n'auriez sans doute jamais connu ces lettres s'il ne les avait produites lui-même. Il l'a dit et, la, il a dit la vérité.
On vous a lu aussi des poèmes de lord Alfred Douglas. Peut-être sont-ils scandaleux. Peut-être sont-ils irréprochables. Dans tous les cas, ce n'est pas votre affaire, et vous n'en deviez tenir aucun compte. Nous avons perdu beaucoup de temps ici, depuis vendredi, à parler littérature, sous prétexte que Wilde est un littérateur. Or il n'est pas accusé d'avoir écrit, ni bien ni mal. Et vous ne devez pas plus vous soucier de cette partie des débats que si Wilde était un maçon et si l'on vous eût parlé de sa maçonnerie, à propose des faits sur lesquels vous devez rendre un verdict. Seulement, n'oubliez pas qu'il y a des lettres de Wilde à lord Alfred Douglas, et que vous n'auriez sans doute jamais connu ces lettres s'il ne les avait produite lui-même. Il l'a dit et, là, il a dit la vérité.

Le juge a ensuite examiné un à un les témoins, et reconnu que la plupart d'entre eux ne méritaient pas grande confiance, bien que certaines de leurs dépositions soient confirmées par Wilde lui-même. Il en est pourtant d'absolument dignes de foi: le propriétaire de Taylor, le masseur et la femme de chambre du Savoy hôtel, le propriétaire d'Albemarle hôtel.

Ceux-là, dit le juge, sont sincères, et vous avez à vous demander si leurs dépositions suffisent à entraîner un verdict de culpabilité. Si vous acceptez ce qu'ils vous ont dit comme exact, vous savez ce que vous aurez à faire. Je vous disais tout à l'heure d'oublier l'homme de lettres, ne vous souciez pas davantage de l'homme du monde. Personne n'a de passé ici, ni d'antécédents. Les faits de la cause seuls doivent vous occuper. Pour moi, mon opinion est faite et je souhaite ardemment de trouver le jugement que vous me ferez rendre comme magistrat, en accord avec ma libre conscience!

Cette péroraison s'achève au milieu d'une grosse émotion dont personne dans l'auditoire ne se défend. C'est que, pour la première fois depuis deux mois, Londres vient d'entendre formuler une «opinion» sur le cas d'Oscar Wilde.

M. le juge Charles n'apportait pas seulement au jury le document parlé que sa haute fonction lui faisait un devoir de présenter; il semblait vraiment qu'il élevât la voix au nom de la conscience anglaise. On peut dire qu'il a très exactement rendu le sentiment général sur les accusés et sur les témoins entendus.

Ce summing up ayant duré trois heures, le jury est entré en délibération à une heure quarante minutes et il a délibéré longtemps.

Pendant ce temps, l'anxiété de tous ressemble à de la fièvre. Wilde fait bonne contenance. Il s'est taillé une plume d'oie qu'il trempe dans l'encrier de sir Edward Clarke et il écrit sur des feuillets de papier rose appuyé à un exemplaire du Strand Magazine. Taylor contemple, les mains vides et les bras ballants, M. le juge Charles, que son devoir fixe à son fauteuil.

A trois heures, le juge reçoit un message du jury. Ces messieurs ont faim et demandent à déjeuner. Cette requête satisfait tout le monde. On envoie un lunch aux jurés; le juge se retire et les accusés sont emmenés hors la salle d'audience pour déjeuner aussi. Tous rentrent à l'audience à trois heures et demie.

La durée de la délibération fait craindre un sérieux désaccord parmi les jurés. Aux termes de la loi anglaise, aucun verdict ne peut entraîner jugement s'il n'a été rendu à l'unanimité. On a vu, dans quelques affaires, le jury délibérer vainement pendant plusieurs heures, voire pendant un jour et demi, sans que ses membres pussent s'accorder; auquel cas le juge les renvoyait par deux et trois fois, dans leur salle de délibération, en adjurant la majorité des jurés de parvenir à convaincre leurs collègues. En sera-t-il de même aujourd'hui?

A cinq heures, le jury rentre en séance et M. le juge Charles adresse au chef des jurés la question traditionnelle:

-- Messieurs, êtes-vous d'accord?
-- Non, Votre Honneur, nous ne sommes pas d'accord!

Tout le procès est à recommencer.

FOREIGN COURTS
THE TRIAL OF OSCAR WILDE
(From our private correspondent)

London, May 1.

Here begins the last hearing of the trial. It is up to the judge to be heard. The reader follows that the English judge should not examine an accused. He only asks him, at the beginning of a proceeding, if he pleads "guilty" or "not guilty"; he warns him to take great care not to say anything that might compromise him in the eyes of the jury, and he leaves him to the representatives of the prosecution and the defense, reserving only to see that everything happens in accordance with the laws. The debates closed, he gives his opinion according to his notes. His speech replaces the old summary of the president of assizes deleted in France for a few years.

Mr. Justice Charles' summary was a marvel of impartiality, clarity and common sense. We will quote the main passages:

"I was satisfied," he said, "to see the prosecution drop the charges relating to "conspiracy," to incitement to debauchery. The law required it, and the depositions of the witnesses dictated this measure. MM. the jurors will remember that there are two kinds of witnesses in this case. First, those who were accomplices in the acts of which the defendants are accused and who are, moreover, proven blackmailers. For more than 200 years, no testimony of this nature has been admitted by an English court, and Lord Bramwell has even twice refused to commit to the criminal court individuals prosecuted on the basis of depositions of this nature. Can you believe what these men told you? No. They do not deserve your trust.

On the other hand, will you give consideration to what has been said by the prosecution of the writings of Wilde. In my opinion, you would be very wrong: you should not. I haven't read Dorian Gray and I don't wish you had read it; in any case, you have no right to remember what impression this book made on you. You were quoted yesterday the saying of Coleridge: "Judge no man by his books." I would say again: Do not confuse any writer with the characters, the types, the personages created by his talent. Where would we be if the contrary were ever admitted by the public conscience, even by the critics, and what opinion would we be led to form of Walter Scott and Charles Dickens, and of many of the great writers of the eighteenth century? century whose works can sadden some easily scandalized readers? Dorian Gray has nothing to do here, nor the other books that have been talked about for no reason. You are not an academy, you are a criminal jury. You are not in charge of mind policing. You do not have to pronounce on writings, but only on facts. Wanting to make Wilde responsible here for his writings is not only unfair, it is absurd!

We applaud and - exceptionally original - we even applaud from the benches occupied by the members of the bar, even from the bench of the press. Judge Charles imposes silence in a hard voice, and he continues:

You have also been read poems by Lord Alfred Douglas. Maybe they are outrageous. Perhaps they are irreproachable. Either way, it's none of your business, and you should ignore it. We have wasted a lot of time here, since Friday, talking about literature, on the pretext that Wilde is a writer. However, he is not accused of having written, neither good nor bad. And you need not worry about this part of the proceedings any more than if Wilde were a Mason and you had been told of his Masonry, about the facts on which you must render a verdict. Just don't forget that there are letters from Wilde to Lord Alfred Douglas, and you probably never would have known of those letters if he hadn't produced them himself. He said it and there he said the truth.

The judge then examined the witnesses one by one, and recognized that most of them did not deserve much confidence, although some of their statements were confirmed by Wilde himself. There are, however, absolutely reliable ones: the owner of Taylor, the masseur and the chambermaid of the Savoy hotel, the owner of Albemarle hotel.

These, said the judge, are sincere, and you have to wonder if their depositions are sufficient to induce a verdict of guilty. If you accept what they told you as true, you know what you have to do. I was telling you a while ago to forget the man of letters, worry no more about the man of the world. Nobody has a past here, nor an antecedent. The facts of the case alone should concern you. For me, my opinion is made and I ardently wish to find the judgment that you will make me render as a magistrate, in accordance with my free conscience!

This peroration ends in the middle of a great emotion from which no one in the audience defends himself. This is because, for the first time in two months, London has just heard an “opinion” formulated on the case of Oscar Wilde.

Mr. Justice Charles not only brought to the jury the spoken document which his high office made it his duty to present; it really seemed as if he were raising his voice in the name of the English conscience. It can be said that he very accurately conveyed the general feeling about the accused and the witnesses heard.

This summing up having lasted three hours, the jury entered into deliberation at one forty minutes and deliberated for a long time.

Meanwhile, everyone's anxiety feels like a fever. Wilde puts on a good face. He has carved out a quill pen which he dips in Sir Edward Clarke's inkwell and writes on slips of pink paper leaning against a copy of the Strand Magazine. Taylor gazes, empty-handed and arms dangling, at Mr. Justice Charles, whom duty has fixed to his chair.

At three o'clock, the judge receives a message from the jury. These gentlemen are hungry and ask for lunch. This request satisfies everyone. A lunch is sent to the jurors; the judge retires and the defendants are led out of the courtroom for lunch as well. All return to the hearing at three-thirty.

The length of the deliberation raises fears of serious disagreement among the jurors. Under English law, no verdict can result in judgment unless it is unanimous. We have seen, in some cases, the jury deliberate in vain for several hours, even for a day and a half, without its members being able to agree; in which case the judge sent them back two or three times to their deliberation room, adjuring the majority of the jurors to succeed in convincing their colleagues. Will it be the same today?

At five o'clock, the jury returns to session and Mr. Justice Charles addresses the chief of the jurors the traditional question:

-- Gentlemen, do you agree?
-- No, Your Honor, we don't agree!

The whole trial has to start over.

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