CHRONIQUE DU PALAIS

LONDRES —30 avril. — Les débats de l'affaire Oscar Wilde et Taylor ont été repris ce matin devant la Cour criminelle centrale. L’audience d’aujourd'hui a été consacrée à la défense des accusés. Sir Edward Clarke, avocat d’Oscar Wilde, a, dans sa plaidoirie, repoussé toutes les accusations qui pèsent sur son client. Puis il a interrogé Oscar Wilde et lui a fait prêter serment qu'il n’avait commis aucun acte indécent.

L'organe du ministère public, M. Gill, est alors intervenu et a procédé à un contre-interrogatoire d’Oscar Wilde. Parmi les questions posées par M. Gill à l'accusé, il faut relever celle relative à un sonnet de lord Alfred Douglas, où il est question d'amour. M. Gill ayant demandé de quelle espèce d'amour il s'agissait dans cette pièce de vers, l'accusé a répondu en ces termes :

C'est un amour qui n’est pas compris dans ce siècle ! C’est l’amour de David pour Jonathan. C’est l’amour que Platon dans sa philosophie décrit comme le commencement de la sagesse. C’est une affection spirituelle et profonde, aussi pure qu’elle est parfaite. C’est elle qui donne naissance aux plus grands chefs-d’œuvre de l’art.

Un semblable amour est bien mal compris aujourd'hui ! C'est une affection intellectuelle entre deux hommes, l’un plus âgé, l'autre plus jeune, le plus âgé possédant l'expérience du monde, le plus jeune renfermant en lui la joie, l’espérance, le charme de la vie. C’est là, une chose, je le répète, que notre époque ne comprend pas. Elle est le but des risées de tous et conduit ses adeptes au pilori.

Oscar Wilde a ensuite continué à opposer de formelles dénégations aux dépositions des témoins produits contre lui.

Après Wilde, Taylor est appelé à témoigner comme l'avait fait son coaccusé. Il prête serment. On remarque qu’il est nerveux. Interrogé par son propre défenseur, il répond qu’il est âgé de trente-cinq ans. Son père mourut en 1874 et lui laissa 1,100,000 francs de fortune. Il vécut alors dans les plaisirs.

Il est faux, dit-il, qu'il eût célébré une cérémonie de mariage avec Mason. Il n'avait pas de vêtements de femme chez lui ; il avait un costume oriental. Il avait une perruque et des bas de femme. Il fut présenté aux deux frères Parker par un monsieur dans Piccadilly. il ignorait ce qu’ils étaient.

Il présenta les Parker à Wilde sans avoir rien découvert sur ces jeunes gens. Il espérait que Wilde pouvait être utile à Charles Parker qui voulait se faire acteur.

En résumé, Taylor explique tout de la façon la plus naturelle et repousse toute accusation contre lui et contre Wilde également dans les questions qui lui sont posées.

Après ces interrogatoires, sir Edward Clarke a repris la parole en faveur de Wilde. Sa plaidoirie éloquente a soulevé les applaudissements de l’assistance.

M. Yrain, avocat de Taylor, a ensuite présenté la défense de son client.

Le reste de l’audience a été consacré a la réplique du ministère public.

1er mai. — L'affaire Oscar Wilde a été reprise à une heure. Le juge a repris la parole et a résumé les débats avec une impartialité qui semble de bon augure pour les accusés.

A une heure trente-cinq minutes le jury entre en délibération.

Après quatre heures de délibération le jury a déclaré ne pouvoir se mettre d'accord.

MM. Wilde et Taylor ne sont donc pas condamnés.

Wilde et Taylor sont maintenus en prison.

Le juge refuse de les mettre en liberté sous caution.

CHRONICLE OF THE PALACE

LONDON—April 30. — The proceedings in the Oscar Wilde and Taylor case resumed this morning before the Central Criminal Court. Today's hearing was devoted to the defense of the accused. Sir Edward Clarke, Oscar Wilde's lawyer, has, in his argument, rejected all the charges against his client. Then he questioned Oscar Wilde and made him take an oath that he had committed no indecent act.

The public prosecutor's office, Mr Gill, then intervened and cross-examined Oscar Wilde. Among the questions put by Mr. Gill to the accused, it is necessary to note that relating to a sonnet of Lord Alfred Douglas, where it is a question of love. Mr. Gill having asked what kind of love was involved in this piece of verse, the accused replied in these terms:

It is a love that is not understood in this century! It's David's love for Jonathan. It is love that Plato in his philosophy describes as the beginning of wisdom. It is a spiritual and deep affection, as pure as it is perfect. It is she who gives birth to the greatest masterpieces of art.

Such a love is very misunderstood today! It is an intellectual affection between two men, one older, the other younger, the older possessing experience of the world, the younger containing within him joy, hope, the charm of life. . This is something, I repeat, that our era does not understand. She is the laughing stock of all and leads her followers to the pillory.

Oscar Wilde then continued to oppose formal denials to the depositions of the witnesses produced against him.

After Wilde, Taylor is called to testify as his co-accused had done. He takes an oath. We notice that he is nervous. Questioned by his own defender, he replies that he is thirty-five years old. His father died in 1874 and left him a fortune of 1,100,000 francs. He then lived in pleasures.

It is false, he says, that he had celebrated a marriage ceremony with Mason. He had no women's clothes at home; he had an oriental costume. He had on a woman's wig and stockings. He was introduced to the two Parker brothers by a gentleman in Piccadilly. he did not know what they were.

He introduced the Parkers to Wilde without having discovered anything about these young people. He hoped that Wilde could be useful to Charles Parker who wanted to become an actor.

In summary, Taylor explains everything in the most natural way and rejects any accusation against him and against Wilde also in the questions put to him.

After these interrogations, Sir Edward Clarke spoke again in favor of Wilde. His eloquent argument drew applause from the audience.

Mr. Yrain, Taylor's lawyer, then presented his client's defence.

The remainder of the hearing was devoted to the Crown's reply.

May 1. — The Oscar Wilde case was resumed at one o'clock. The judge took the floor again and summarized the proceedings with an impartiality that seems to bode well for the defendants.

At one hour thirty-five minutes the jury enters into deliberation.

After four hours of deliberation the jury declared that they could not agree.

MM. Wilde and Taylor are therefore not doomed.

Wilde and Taylor are kept in prison.

The judge refuses to release them on bail.